mercredi 13 juin 2018

Le cercle de lecture du mois de mai a pour thème : LA BELGIQUE




Parfaite occasion de célébrer Jacques Brel ? Oh, trop facile !!! Allons plutôt chercher Jeanne Moreau, qui enregistra en 1981 tout un disque adapté du poète belge Norge (1898-1990), dont « Le petit non »  CLIQUEZ ICI.  Ce n’est pas la partie la plus connue de sa discographie, mais certainement pas non plus la moins jolie.  SW



Faux passeports, de Charles Plisnier, Ed. Buchet-Chastel – 1996 (première parution : 1937)

Il y a des œuvres dont le temps révèle la vérité. Faux passeports est de celles-là. Ce roman rend compte, en effet, de la destruction d'une espérance collective dont l'éclatement de l'empire soviétique, plus de cinquante ans après, illustrera l'ampleur et la tragédie. Convaincu de trotskisme et exclu du Parti communiste lors du congrès d'Anvers en 1928, Charles Plisnier s'est inspiré de son itinéraire personnel pour écrire cette suite narrative dont les personnages - mus, torturés, divisés par le même idéal - prennent aujourd'hui un singulier relief, une étrange épaisseur. 

J’ai une affection particulière pour cet auteur aujourd’hui oublié, et en particulier pour ce livre d’autant plus fort qu’il est chargé de ses désillusions personnelles. Charles Plisnier, qui s’y révèle étonnamment visionnaire, eut alors le courage de s’opposer à une grande partie de l’intelligentsia de l’époque. Faux passeports fut en 1937 le premier ouvrage étranger couronné par le prix Goncourt, et Plisnier fut proposé pour le prix Nobel de littérature en 1951. FB



La vie des abeilles, de Maurice Maeterlinck, Ed. Le Livre de poche
(Première parution : 1901) 

Suivant pas à pas la vie d'un essaim depuis qu'il a quitté la ruche chaude et confortable pour affronter un monde plein de périls, Maeterlinck évoque « cette étrange petite république, si logique et si grave, si positive, si minutieuse, si économe, et cependant victime d'un rêve si vaste et si précaire ». Il décrit de façon saisissante tous les actes du drame, l'essaimage, l'élevage des nouvelles reines, l'exclusion des bourdons après le vol nuptial, le massacre des mâles, et peu à peu, l'hiver venant, le retour au grand sommeil. 
Maeterlinck, qui obtint le prix Nobel de littérature en 1911, a en quelque sorte fondé avec ce livre la sociologie animale. Il y pose surtout mille questions, car ce chef-d’œuvre d'un grand naturaliste est aussi l’œuvre d'un poète et d'un philosophe, pénétré d'esprit scientifique. 

Rien de commun, bien sûr, avec Les fourmis de Bernard Weber. Ceux qui y cherchent un traité d’apiculture en seront pour leurs frais, car le plus intéressant, dans cette lecture, est l’analogie constante qu’établit Maeterlinck entre le monde animal et celui des hommes. Il n’en reste pas moins qu’un tel ouvrage peut paraître aujourd’hui bien désuet, et on peut se contenter de ne le lire que par petites doses (il est facilement consultable en PDF sur internet).  CP



La maison du canal, de Georges Simenon, Ed. Pocket – 1976 (première parution : 1932)

C'est au cœur de la campagne du Limbourg, dans la ferme de ses cousins Van Elst, que choisit d'aller vivre Edmée, restée seule à seize ans après la mort de son père. Géré tant bien que mal par Fred, l'aîné des Van Elst, et son cadet Jef, ce domaine grevé d'hypothèques semble destiné à péricliter irrémédiablement. Orgueilleuse et dominatrice, la jeune fille ne va pas tarder à susciter la passion de Fred, pour lequel elle éprouve une attirance mêlée de dégoût. Plus sensible sous des dehors bourrus, Jef paraît lui aussi fasciné. Comment sauraient-ils que sont déjà en place tous les mécanismes qui vont les amener vers l'échec et la tragédie ? Le lecteur le découvrira en même temps qu'eux, au fil de ces pages envoûtantes et inquiétantes, plongées dans l'interminable et pluvieux hiver belge.

Ce livre est sans doute un des derniers que Simenon situe dans sa Belgique natale (à l’époque, il était installé depuis dix ans à Paris et avait déjà imaginé le personnage du commissaire Maigret). Mais c’est aussi un des plus noirs et des plus durs, et il est difficile d’imaginer ambiance plus oppressante que celle de cette campagne constamment gorgée de pluie. Comme la plupart des romans « durs » (c’est-à-dire non-Maigret) de Simenon, celui-ci est concis, incisif et lourd d’une rare puissance d’évocation.  CP



Ni d’Eve, ni d’Adam, d’Amélie Nothomb, Ed. Albin Michel – 2007

Selon les propres dires d’Amélie Nothomb, Stupeur et tremblementspourrait donner l'impression qu'au Japon, à l'âge adulte, elle a seulement été la plus désastreuse des employés.  Mais dans Ni d'Ève ni d'Adam, elle révèle aussi qu’à la même époque et dans le même lieu, elle vécut une importante histoire d’amour avec Rinri, un Tokyoïte très singulier. Ou plutôt une initiation amoureuse et culturelle, drôle, savoureuse, insolite et instructive : si les codes de la société japonaise demeurent souvent impénétrables, l'étranger qu'est l'occidental est aussi source de quiproquos et de malentendus. 

Voilà un livre extrêmement distrayant, facile à lire et plein d’humour. On ne s’ennuie pas un instant. Ce qui n’empêche pas Amélie Nothomb de décrire avec beaucoup de finesse la société nippone qu’elle connaît si bien. Le chapitre consacré à l’ascension du mont Fuji -pèlerinage indispensable à tout Japonais qui se respecte- est en particulier un modèle du genre. SV



Tintin au Congo, par Hergé, Ed. Casterman (noir et blanc : 1931, couleurs : 1946)

Dans ce deuxième volume des aventures de Tintin (après le rarissime Tintin au pays des Soviets), le personnage du plus célèbre reporter du monde n’est pas encore totalement abouti, et aucun de ses compagnons contribuant au charme de la série (le capitaine Haddock, les Dupont-Dupond…) n’est encore présent. Plutôt qu’une véritable intrigue, le scénario est une suite de sketches sans grande consistance. Mais rien de tout cela n’a empêché l’album de rester extrêmement populaire au fil des générations. 
On sait qu’après la Seconde guerre mondiale, Tintin au Congovalut à Hergé d’être accusé de préjugés racistes et colonialistes. Et ce à tel point que l’album, colorisé en 1946, ne fut ensuite réimprimé qu’au début des années 1970. Force est de reconnaître que ces reproches ne sont pas dénués de fondements, mais il faut les relativiser et tenir compte du contexte de l’époque. Dans la suite de son œuvre, Hergé fera preuve d’une plus grande ouverture d’esprit. 

Raciste, Tintin ? Ses aventures restent si bon enfant qu’on ne peut plus vraiment lui en faire le reproche. Tout cela est si excessif, si peu réaliste et surtout si drôle qu’on peut le lire sans trop de culpabilité. Les enfants ne s’y trompent pas, eux qui savent très bien reconnaître ce qui est «pour de faux».  Tintin nous a tous séduits génération après génération, et c’est une belle réussite. SV 



L’apparition des esprits, 
Suivi deLe véritable amour, par Jacqueline Harpman, Ed. Livre de poche – 2005 

« Il en est du véritable amour comme de l'apparition des esprits : tout le monde en parle, mais peu de gens en ont vu.»C'est à cette formule de La Rochefoucauld que ces deux romans - à moins qu'ils n’en forment qu’un seul en deux volets - empruntent leur titre. Plus connue pour La plage d’OstendeOrlanda(prix Médicis 1996) ou La Dormition des amants, Jacqueline Harpman y met en scène une toute jeune fille, Catherine, et l'amitié singulière qu'elle noue avec Alker, un quadragénaire ami de ses parents, célibataire endurci. Comment s'avouerait-elle l'attirance qu'elle éprouve pour lui ? Et cet homme, trop conscient de sa propre inconstance, peut-il se reconnaître le droit de prendre ce qu'elle finit par lui offrir ?Un jour de juillet, pourtant, Catherine reviendra frapper à sa porte... Mais il aura fallu d'abord qu'elle traverse une éducation sentimentale dont l’auteur nous révèle les tours et détours avec autant de finesse que d'humour, dans un style qui n’est pas sans rappeler la littérature du XVIIIe siècle. 

Ces deux romans n’en forment qu’un, tant le passage de l’un à l’autre est fluide. Pourtant, quarante ans les séparent, L’apparition des espritsdatant de 1960 et Le véritable amourde 2000. Un tel écart est sans doute unique en littérature. Comme l’héroïne, le talent de l’auteur a mûri entre les deux moitiés du récit, marquées à la fois par l’ironie de la narratrice et par une élégance d’écriture devenue rare. Jacqueline Harpman (1929-2012) maniait l’imparfait du subjonctif comme personne, jamais avec ridicule et toujours à bon escient. Je suis assez hermétique à cette littérature un peu trop sentimentale pour mon goût, mais sais tirer mon chapeau devant la beauté d’un style.  SW



Le chagrin des Belges, par Hugo Claus, Ed. Julliard – 1985

Louis Seynaeve, élève dans un pensionnat de religieuses, puis dans un collège de jésuites, est un enfant précoce qui cache ses blessures intimes sous une carapace d'indifférence. Avec une lucidité inquiétante, il regarde les adultes se débattre autour de lui : en ces temps troublés (1939-1947), la ville imaginaire de Walle, à deux pas de la frontière française, est le théâtre d'un écartèlement : les Flamands sont pris en tenaille entre leur fidélité à la Belgique et la fraternité pangermanique offerte par l'Allemagne nazie. Confusion, insatisfaction et sentiment de duperie tisseront les années d'enfance et d'adolescence de Louis. A travers une incroyable galerie de portraits, ce livre révèle tout l'exotisme d'un pays si proche, d'un "plat pays" extraordinaire qui est celui de Breughel, de James Ensor et de Michel de Ghelderode.

Ce livre, qui fait toucher du doigt l’identité belge, est sans doute le plus important de la littérature flamande.  Il faut du temps pour y entrer, et je comprends que nombre de lecteurs “calent” devant ses 600 pages ou soient déconcertés par une narration à la limite de l’onirique, où l’on ne distingue pas toujours le réel de l’imaginaire.  En tout cas, Hugo Claus y brise le tabou de la collaboration avec l’occupant en pays flamand. Sans complaisance ni indulgence, mais sans non plus la férocité de Jacques Brel dans sa chanson Les Flamingants[vimeo.com/35330358].  SW



Les contes du whisky, par Jean Ray, Ed. Alma – 2016 (Première parution : 1925)

Les Contes du whisky est le premier recueil de nouvelles fantastiques de Jean Ray, l’un des quelque 170 pseudonymes de l’écrivain belge bilingue Raymond Jean Marie De Kremer (1887-1964). L'édition de 2016 présente pour la première fois en langue française l'ensemble des textes parus entre 1923 et 1925 dans leur version intégrale. Elle propose aussi une bibliographie complète des différentes éditions des Contes du whiskyen langue française. Coupé de sang ou teinté de fiel, le whisky trône au bar comme le breuvage roi. Alcool philosophal, il porte en lui tous les vertiges, toutes les révélations et tous les songes. Immondes mutations arachnéennes, anecdotes à l’humour d’un noir goudronneux, récits de maraudeurs et dits de forbans, saynètes d’usuriers et bestiaires frénétiques, confessions d’autre monde ou fariboles d’ivrognes chacun de ces 38 contes est une prose arrachée à l’album de la nuit et aux ivresses de la fleur du malt.
Malgré des débuts délicats en France, Jean Ray occupe désormais la place la plus importante au sein de l'école belge du fantastique. Son œuvre se caractérise surtout par des histoires peuplées de fantômes et de créatures de l'au-delà. La peur en est le moteur principal, ainsi que ce que cache chaque masque que porte tout individu et l'idée de la survivance des dieux. Son écriture baroque doit beaucoup au roman gothique anglais du XVIIIe siècle. L'œuvre de Dickens a énormément influencé Jean Ray, qui l’évoque dans bon nombre de nouvelles.


Il s’agit clairement d’un premier ouvrage : même si les intrigues sont menées de façon efficace, le dénouement est en souvent très (trop ?) rapide. Les thèmes sont très variés et les issues parfois heureuses, parfois fatales et quelquefois amusantes. On y retrouve des descriptions du Londres de Dickens, teintées par Edgar Poe. La lecture en est agréable et pour les amateurs du genre, on passe quelques moments sympathiques. Le whisky y est un confident ou un boutefeu, un conseiller ou un ami avec qui sombrer à pleins verres, mais aussi, plus dangereusement, l’or du démon.  MM



Malpertuis, par Jean Ray, Ed. Alma – 2017 (première parution : 1943)

Le vieux Cassave, rosicrucien âgé de plus de 200 ans est en train de mourir. Il convoque les membres de sa famille dans sa demeure qu'il a nommée Malpertuis. Il annonce que chaque personne voulant toucher l'héritage devra y vivre désormais. Ses ordres sont que seul le dernier vivant pourra avoir la fortune. S'il reste un homme et une femme, ils devront se marier et toucheront l'héritage à deux. La mort de Cassave va libérer des forces surhumaines qui se déchaineront pour obtenir l’héritage, dont la véritable nature se révèlera sans doute la liberté. Jean-Jacques Grandsire, le jeune héros « candide », vit avec sa sœur Nancy parmi ces êtres étranges. Il suscite l’amour chez sa cousine Euryale et chez Alice, la plus jeune de sœurs Cormélon. Au fil du temps, il essaiera de dénouer l'énigme des mystères qui hantent cette horrible demeure mais les scènes terribles auxquelles il assistera, l'ombre des maléfices et le souffle du sacré vont perturber gravement sa santé. Il ne devra un répit temporaire qu’à la puissance d’Eisengott qui seul pourra le guérir du maléfice dont il sera victime et à l’amour d’une servante d’auberge qui l’emmènera loin de cet endroit maudit vivre quelque temps une vie d’homme. Mais, homme ou dieu, personne n’échappe à la destinée, l’avenir d’Euryale et de Jean-Jacques ne sera pas celui préparé par l’oncle Cassave, ni celui voulu par eux-mêmes.

Il n’a pas fallu moins de cinq narrateurs pour conter cette intrigue, et il faut certainement autant de lectures pour rassembler tous les éléments de ce chef d’œuvre tant il fourmille d’éléments de référence et d’enchevêtrements d’intrigues. Après ses nouvelles, ce premier roman hisse Jean Ray au niveau de Poe ou de Lovecraft. Les références à la mythologie grecque ou européenne (l’abbé Doucedame – précepteur de Jean-Jacques - se révèlera être loup garou), la présence de la religion catholique et de ses représentants, ancrent fortement cette fabuleuse histoire dans notre culture et lui donnent une vraisemblance immédiate. Je le relis régulièrement avec toujours autant de plaisir. MM



*Astérix chez les Belges, par René Goscinny (scénario) et Albert Uderzo (illustration), Ed. Dargaud – 1979.

Cet album est le dernier de la série réalisé par René Goscinny, mort pendant la réalisation de la BD. Il ne restait qu’une dizaine de pages à dessiner par Uderzo. Pour lui rendre hommage, Uderzo a dessiné dans la dernière case un petit lapin qui part en pleurant, clin d’œil au fait que Goscinny appelait sa femme « mon lapaing ».
Les Romains du camp retranché de Laudanum, revenus traumatisés d’une campagne en Belgique, apprennent aux villageois que Jules César lui-même décrit les Belges comme les plus braves de tous les peuples de la Gaule. Abraracourcix, outré, décide d’aller voir ce qu’il en est et de défendre la réputation des Gaulois. Astérix et Obélix l’escortent avec peu d’enthousiasme. Arrivés en Belgique, les Gaulois font la connaissance d’une tribu belge et décident d’organiser un concours arbitré par Jules César…
Comme tous les albums d’Astérix, Astérix chez les Belgescomporte de nombreux clins d’œil. La réplique du chef belge “Après des semaines et des semaines d’esclavage, on a décidé qu’on ne savait plus supporter !” est par exemple une allusion à la Brabançonne, l’hymne national belge. A propos du paysage, il répond aussi à Astérix, Obélix et Abraracourcix : “dans ce plat pays qui est le mien, nous n’avons que des oppidums pour uniques montagnes”, référence évidente à la chanson de Jacques Brel. On notera aussi petits clins d’œil à la dentelle de Binche et à la Gueuze, fameuse bière belge.
Cet album comporte également quelques caricatures sur de célèbres Belges tels que Nicotine (Annie Cordy), un légionnaire ressemblant étrangement à Pierre Tchernia, le messager rapide (le cycliste Eddy Merckx) etc.

J’ai relu avec plaisir cet album qui malgré son « grand âge », n’a pas pris une ride !!


PROCHAIN CERCLE DE LECTURE
LE SAMEDI 9 juin 2018
THEME: LE ROMAN POLICIER

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