C'était la première fois que le Cercle de lecture consacrait
une séance entière à un seul auteur.
Romain Gary, le seul auteur à s'être vu décerner deux fois le prix Goncourt, celui qui a réussi à mystifier le jury et le public, et dont on n'a découvert la supercherie qu'après sa mort !
Quand on a dit cela, on n'a rien dit et c'est là tout l'intérêt de l'exercice du jour. Le portrait a pris forme à la lecture de tous ces textes : un conteur formidable, talentueux, truculent, drôle, tout en finesse, illuminé, obsessionnel, amer, désillusionné, agaçant, mal dans sa peau...
*Le Grand Vestiaire – 1949
(première parution)
Ed.
Gallimard / folio - 1985
Luc Martin, fils d’un
instituteur mort en héros de la résistance, et sa chienne Roxanne sont
recueillis à la Libération par un certain Vanderputte, un vieil homme improbable, rongé
par un secret. Vanderputte héberge déjà deux autres adolescents, Léonce et
Josette et sous sa direction, tout le monde se livre au marché noir. Les trois
jeunes complices vivent en imitant les faits et gestes de leurs idoles -
Humphrey Bogart et Lauren Baccall ; Luc s'éprend de Josette ; larcins
et attaques en tous genres se suivent ; Josette, puis Léonce trouvent la
mort ; et pour finir Luc se retrouve seul, quand une lettre envoyée par un
disparu se charge de confondre Vanderputte. Rien n’a de sens pour Luc qui
évolue dans "un immense vestiaire plein de défroques aux manches vides,
d'où aucune main fraternelle ne se tendait.»
Je n’avais
encore jamais rien lu de cet auteur et c’est une excellente découverte. Un
récit picaresque, haut en couleurs, drôle et tranchant, d’une infinie noirceur,
où plane la désillusion - GA
*Les
Racines du ciel - 1956 (première parution) Prix Goncourt
Ed.
Gallimard / folio – 1972
L'histoire
se déroule dans les années 1950, en Afrique Équatoriale Française. Pour ces
baroudeurs, qui ont décidé de s'exiler plus ou moins
volontairement dans une colonie bien reculée…, tout commence à aller de travers
quand Morel, plus têtu et plus accroché à un idéal que les autres, décide de
s'engager dans une lutte pour la sauvegarde des éléphants, ces splendeurs qui
sont « les racines du ciel ». Tant qu’il reste dans le registre de la
pétition, tout le monde lui rit au nez, mais un jour, ce dernier en a marre et
décide d'utiliser les armes contre les chasseurs d'éléphants et d'incendier les
dépôts d'ivoire. Il est rejoint dans le "maquis" par des personnes
aux intérêts divers…
Le livre est remarquable, l’auteur est un formidable conteur,
la dimension psychologique est omniprésente. Le manque de confiance dans
l’humanité de Gary est flagrant - un aveu et une constante que l'on retrouvera dans toute son œuvre -
CP
Les
oiseaux vont mourir au Pérou – 1962 (première parution sous le titre « Gloire
à nos illustres pionniers »)
Ed.
Gallimard / folio - 1975
Il s’agit d’un recueil de 16 nouvelles.
On y
croise le rêveur, le naïf, le désespéré, le dévoué, le têtu, le désenchanté,
l'orgueilleux, le vaniteux, le salopard, l'obtus, l'odieux, l'obstiné,
l'optimiste, l'idiot, le bon, la brute et aussi le truand... Mais l’auteur
l’affirme « il n'y a pas eu préméditation de ma part : en écrivant
ces récits, je croyais me livrer seulement au plaisir de conter. Ce fut en
relisant le recueil que je m'aperçus de son unité d'inspiration : mes démons
familiers m'ont une fois de plus empêché de partir en vacances. Mes airs amusés
et ironiques ne tromperont personne : le phénomène humain continue à m'effarer
et à me faire hésiter entre l'espoir de quelque révolution biologique et de
quelque révolution tout court ».
Quelques beaux textes, d’une grande finesse : « Les
oiseaux vont mourir au Pérou » et « Le luth » m’ont particulièrement
touchée. La nature humaine est mise à rude épreuve. La palette de cet auteur
est vraiment étonnante et formidablement illustrée dans ce recueil- CP
Lady L – 1972 (première parution)
Ed.
Gallimard / folio - 1973
Une vieille dame très respectable de l'aristocratie
britannique fête son anniversaire en compagnie de toute sa famille, enfants et
petits-enfants, ayant tous plus que bien réussi socialement. Pourtant, tout
ceci n'est qu'une aimable façade, un rôle qu'elle a choisi de jouer et qui la
déçoit amèrement, car la vérité est bien plus noire et bien plus ardente. Elle
décide, lassée par tous ces secrets, de conter son histoire à son confident,
typiquement anglais, qui la vénère.
Un beau
roman dont le charme réside autant dans les personnages très typés que dans le
style de l’auteur, alerte, humoristique, habile. Ce n’est pas qu’un roman
agréable à lire, mais qui serait superficiel, c’est l’adaptation du mythe de
Pygmalion et Galatée à la fin du XIXe siècle, dans le milieu des mouvements
anarchistes. C’est là son originalité – NM
*La
nuit sera calme – 1974
(première parution)
Ed.
Gallimard / folio - 1976
Ce livre prend la forme d'un entretien fictif
avec François Bondy, ami d'enfance de l'auteur. François Bondy donna son
accord pour n'être qu'un « prête-nom » à cette œuvre littéraire dont
Gary fut intégralement l'auteur tant pour les réponses que les questions.
Comme dans La Promesse
de l'aube, Romain Gary parle ici de ce qu'il a vu, connu, aimé. De Vychinski à
Groucho Marx, de Churchill à de Gaulle, des héros de la France Libre aux
ambassades et à Hollywood, c'est une suite de rencontres, de portraits et
d'événements, une chevauchée de coureur d'aventures qui semble avoir vécu
plusieurs vies : aviateur, diplomate, écrivain, cinéaste, toujours passionné, toujours
amoureux de l'éternel féminin.
J’avoue avoir
abandonné en route, gênée par la conscience que l’interview
était fictive (un à priori négatif ?). J'y ai vu une promotion de ses précédents livres, mais au
terme de notre séance, je réalise qu’il s'agit là d'un éclairage intéressant sur ses textes ; l’auteur m’étant à présent plus familier, j'ai envie d'y retourner... - GA
Au-delà
de cette limite votre ticket n’est plus valable –
1975 (première parution)
Ed. Gallimard / folio - 1985
Jacques Rainier,
cinquante-neuf ans, industriel, est aux prises avec des difficultés en affaires
au moment où sa liaison avec une jeune Brésilienne le rend très heureux. À la
suite des confidences angoissées d'un ami obsédé par le mythe de la virilité,
la peur du déclin sexuel s'insinue en lui, l'envahit, le détruit, ne le quitte
plus. En osant s'attaquer à un sujet tabou, Gary a soulevé un débat passionné,
qui a connu un grand retentissement. Mais son livre cru et dur, dominé par un
humour amer, reste aussi un roman d'amour
plein de tendresse.
Ce livre n'a pas trouvé d'écho en moi. L’angoisse
d’une possible défaillance de la virilité face à une toute jeune femme, un
auteur désabusé... Sans doute ne suis-je pas un homme et j'avoue humblement que je n’ai pas beaucoup de sympathie pour son problème. - SV
*La
vie devant soi – 1975
(première parution) Prix Goncourt,
sous le pseudonyme d’Emile Ajar
Ed. Gallimard - 1982
L’histoire d'amour d'un
petit garçon arabe pour une très vieille femme juive : Momo se débat contre les
six étages que Madame Rosa ne veut plus monter et contre la vie parce que
"ça ne pardonne pas" et parce qu'il n'est "pas nécessaire
d'avoir des raisons pour avoir peur". Le petit garçon l'aidera à se cacher
dans son "trou juif", elle n'ira pas mourir à l'hôpital et pourra
ainsi bénéficier du droit sacré "des peuples à disposer d'eux-mêmes"
qui n'est pas respecté par l'Ordre des médecins. Il lui tiendra compagnie
jusqu'à ce qu'elle meure et même au-delà de la mort.
J’ai lu ce livre pour la première fois
à l’âge de 16-17ans et j’ai souvenir que je l’avais trouvé pétillant et qu’il
m’avait fait rire. Quelque 40 ans plus tard c’est sa noirceur qui me saute aux
yeux… Une ode à la vie,
apparemment oui, mais pourtant, cette vie peut être très compliquée! La
vie du petit Momo n'est ni simple ni joyeuse et pourtant il grandit, parfois
vite même. Au bonheur, ne
faut-il pas préférer l'amour?
Je
tiens à saluer le film qu’en a tiré Moshé Mizrahi, et Simone Signoret
absolument grandiose dans le rôle de Mme Rosa ! – MM
J’ai
été fascinée par le style de l’auteur et par le contenu : un enfant plus
ou moins abandonné, une mère adoptive mourante et des personnages très
marginaux, et pourtant ce livre n’est pas triste – HL
Serge,
quant à lui, s’est amusé à nous mettre en perspective la mystification dont a
fait preuve Romain Gary, évoquant pour
nous le poète écossais James Macpherson, qui a publié à la fin du XVIIIe les
poèmes d'Ossian, un barde écossais du IIIe siècle.
En fait, Macpherson aurait
tout écrit lui-même, tandis qu' Ossian a influencé tout le début
du XIXe, et en particulier le romantisme allemand, à une époque où l’on croyait
à son authenticité…
Beaucoup plus proche de nous, Boris Vian a inventé Vernon Sullivan, l’auteur supposé de J'irai cracher sur vos tombes, lequel a finalement occulté la carrière littéraire de son créateur (du moins de son vivant).
Puis dans un autre genre, pour
clore la soirée, Serge nous a présenté une de ses dernière lectures traitant de mystification :
La
double vie de Vermeer, de Luigi Guarnieri
L''incroyable et
véridique histoire de Han Van Meegeren, peintre traditionaliste né aux Pays-Bas
en 1889, qui, éreinté par les critiques de son époque, décida de se venger de manière
grandiose en réalisant plusieurs faux Vermeer dont certains furent considérés
par la presse comme des chefs-d'œuvre du maître de Delft. Ce n'est qu'en 1945
que la supercherie fut découverte, quand la police saisit la collection de
Goering. S'ensuivit un procès mémorable, qui vit défiler responsables de musée,
critiques d'art et experts de renom...
Un palpitant roman, tout à la fois enquête policière et réflexion jubilatoire
sur la relativité des œuvres d'art et des jugements qu'elles suscitent, sur la
folie, la passion du beau, et les infinies séductions du mensonge…
*Les titres précédés d’un astérisque sont disponibles à la bibliothèque.
Le prochain Cercle de Lecture se réunira le vendredi 1er mai à 20h00
Le prochain Cercle de Lecture se réunira le vendredi 1er mai à 20h00
avec pour thème : La mer.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire