Nous avons pris goût aux chansons, aussi sur proposition de Serge, c'est avec une chanson sur le thème du jour que nous avons décidé d'ouvrir nos séances. C'est donc avec Frontières, chanson de l’auteur-compositeur belge
Jofroi, enregistrée en 2012 par Francesca Solleville, que nous avons démarré. Depuis la fin des années
1950, celle-ci n’aura cessé de servir avec énergie les plus grands auteurs de
la chanson française, dans un répertoire où Ferré et Ferrat côtoient Aragon ou
Apollinaire.
Mais passons aux livres :
* Nous serons
des héros, de Brigitte Giraud
Ed. Stock -
2015
A la fin des années soixante, Olivio et sa mère fuient la dictature portugaise pour s’installer dans la banlieue lyonnaise. Ils ne tardent pas à emménager chez Max, un rapatrié d’Algérie avec lequel la jeune femme tente de refaire sa vie. Malgré l’absence écrasante d’un père mort dans les prisons de Salazar et des relations malaisées avec Max, Olivio devra vaille que vaille construire sa propre identité. Dans un environnement où se côtoient les déracinés de toutes les origines, il se lie à Ahmed, un immigré algérien de son âge, auprès de qui il trouve chaleur humaine et complicité secrète. Etranger dans son pays d’adoption comme dans son pays natal, où il se rendra après la Révolution des œillets, il devra aussi traverser un territoire plus tortueux encore : l’adolescence.
Tout en subtilité et en délicatesse, ce roman à la fin énigmatique se lit d’une traite. Il nous suggère par petites touches la lente évolution non seulement d’Olivio, mais aussi de sa mère et d’un Max bien moins solide qu’il voudrait le faire croire. J’ai beaucoup aimé l’écriture simple et fluide de Brigitte Giraud, qui m’a donné grande envie de lire ses autres livres - SW
*Eldorado, de Laurent Gaudé
Ed. Actes Sud – 2006
La double trajectoire d’un officier des garde-côtes italiens qui perd le sens
de sa mission et d’un jeune émigrant soudanais qui tente d’atteindre l’Eldorado
européen. A Catane, le commandant Salvatore Piracci navigue depuis vingt ans au
large de la Sicile, afin d’intercepter les bateaux chargés de clandestins qui
tentent la grande aventure en sacrifiant tout, y compris parfois leur vie. Un
jour, la rencontre d’une des survivantes va bouleverser sa vie en y instillant
doute, compassion et humanité, à un point tel qu’il se lancera lui aussi dans un
voyage sans retour. Parallèlement, au Soudan, Soleiman et son frère Jamal
quittent pays et continent dans l’espoir d’une vie meilleure. Mais Soleiman
poursuivra seul son odyssée.
Laurent Gaudé déploie les destins croisés
de ses personnages sur la dramatique toile de fond des migrations clandestines en
Méditerranée. Dans un style réaliste, alerte, souvent tragique mais sans
pathos, et parfois épique (le passage des barbelés à la frontière de l’enclave
espagnole de Ceuta), il nous offre un roman original sur ce thème vibrant
d’actualité. NM
1492-1530 La ruée vers l’Amérique: Le
mirage et les fièvres,
de Jacques Heers
Ed. Complexe – 1992
Fièvre de l'or, images de richesses fabuleuses, espoir d'une autre vie, parfois
d'une nouvelle identité... Les expéditions des «Grandes découvertes» se
nourrissent de rêves et de légendes. Jacques Heers retrace ici les premiers
épisodes de ce temps des pionniers. Il évoque les pillages qui ramènent à bord
des butins vite négociables, des esclaves, de l'or, des perles ; les commerces
aléatoires avec des peuples inconnus ne figurant même pas dans "Le Livre
des merveilles" de Marco Polo, les trocs mirifiques, la création de villes
nées de la quête effrénée des trésors. Décimées par les fièvres, elles
deviendront parfois cités-fantômes... Près d'un demi-siècle de rêves,
d'aventure, de violence et de renoncements. Une période particulièrement
révélatrice où tout se met en place, souvent dans le désordre : administration,
relations, structures sociales et nouvelles mentalités.
Rédigée par un médiéviste, cette
étude met à notre portée le bouillonnement d’une période méconnue, voire
entachée d’idées préconçues ou anachroniques. Jacques Heers présente les
premiers établissements fondés – avant même la découverte de l’Amérique – par les
Portugais, puis par les Espagnols, sur les côtes d’Afrique et dans les îles des Canaries, du Cap Vert et
de Madère dès l’aube du XVe siècle. A partir de 1492, les voyages de Christophe
Colomb impulsèrent d’autres expéditions commerciales vers les Indes
occidentales. Beaucoup d’aventuriers en quête d’Eldorado en revinrent avec
leurs rêves brisés - NM
*Ru, de Kim Thuy
Ed. Liana Levi - 2010
Une femme voyage à travers le désordre de ses souvenirs :
l'enfance dans sa cage d'or à Saigon, l'arrivée du communisme dans le
Sud-Vietnam apeuré, la fuite dans le ventre d'un bateau au large du golfe de
Siam, l'internement dans un camp de réfugiés en Malaisie, les premiers frissons
dans le froid du Québec.
Le
point de vue est celui d’une enfant qui a quitté le Vietnam à l’âge de dix ans
pour s’installer au Québec. Le récit reconstitue une mosaïque de souvenirs et d’anecdotes,
tantôt légers, tantôt graves. "Mon père avait
prévu, si notre famille était prise par des communistes ou des pirates, de nous
endormir pour toujours, comme la Belle au bois dormant, avec des pilules de
cyanure. Pendant longtemps, j'ai voulu lui demander pourquoi il n'avait pas
pensé à nous donner le choix, pourquoi il nous aurait enlevé la possibilité de
survivre." Le ton est donné.
Ce que l’on retient est un constat : pas de mélodrame,
ça s’est passé et on est là ; tout était étrange, il a fallu s’adapter. Un
livre joliment écrit, parfois drôle. C'est le mot résilience qui nous vient à l'esprit - GA
*Là où
vont nos pères, de Shaun TAN
Ed. Dargaud – 2015 (Fauve d’or Angoulême
2008)
Comment tant d’hommes sont-ils conduits à tout laisser
derrière eux pour partir vers un pays mystérieux, un endroit sans famille ni
amis, où tout est inconnu et l’avenir incertain ?
Si son père, Malaisien, a émigré en
1960 en Australie, l’auteur lui-même n’a pas à proprement parler vécu cette
expérience. Il concède cependant qu’il sonde dans tous ses livres le sentiment
d’appartenance, et c’est le cas ici. Il s’agit d’un roman graphique, sans texte :
des dégradés sépia et grisés, comme ces photos d'aïeux oubliés. Un homme part
pour un long voyage et laisse sa famille dans une ville dévorée par un monstre.
Il pénètre dans un pays dont il ne connaît ni les codes, ni le mode de vie et l’on
pénètre dans un monde fantastique « à la Jérôme Bosch » où le lecteur
lui-même perd ses repères. S'adapter
en permanence est terriblement fatigant et inquiétant, même si il y a de belles
rencontres…
Une histoire à
dessein intemporelle. Au titre original « The Arrival », je préfère
le titre français, lourd de sens et plus évocateur. Shaun Tan est une belle
découverte - GA
*Thiên An ou la
grande traversée, de Valentine Goby
(texte) et Ronan Badel (dessins)
Ed. Autrement
Jeunesse – 2009
En 1979,
Thiên An, jeune collégien d’origine vietnamienne, vit avec son père dans le
XIIIe arrondissement de Paris. Prié d’écrire une rédaction sur «une grande
épreuve physique», il choisit de raconter sa traversée de la mer de Chine avec
une partie de sa famille pour fuir le Vietnam communiste. Car il a fait partie
des boat people, dont beaucoup
–notamment sa petite cousine- sont morts de faim, de déshydradation, ou sous
les attaques de pirates. Le récit mêle vie quotidienne à Paris et souvenirs de
son odyssée. Thiên An est très inquiet, car sa mère et ses petits frères ont à
leur tour entrepris ce terrible voyage pour les rejoindre.
On retrouve ici tous
les éléments de l’émigration : impact de l’Histoire sur le sort des humbles,
voyage terrifiant, difficultés d’adaptation, déclassement social (petits
travaux chichement payés après des situations enviables au pays natal), mais
aussi entraide et rage de survivre coûte que coûte. Un récit très émouvant
destiné aux jeunes - SV
La goutte
d’or, de Michel Tournier
Ed.
Gallimard - 1985
Idriss gardait ses
chèvres et ses moutons non loin de l'oasis algérienne de Tabelbala quand une
Land Rover a surgi. Une jeune femme blonde aux jambes nues l’a photographié et
lui a promis de lui envoyer le cliché dès son retour à Paris. Mais Idriss a
attendu en vain. Son image volée ne lui a pas été rendue. Déterminé à la récupérer,
il va partir vers le nord, jusqu'à Paris. En y cherchant du travail, il va se
heurter à des images de lui-même qu'il ne reconnaîtra pas. Perdu dans un palais
de mirages, il s'enfoncera dans la dérision jusqu'à ce qu'il trouve son salut
dans la calligraphie. Seul le signe abstrait le libérera de la tyrannie de
l'image, opium de l'Occident.
Philosophe plus que romancier, Michel Tournier
souligne l’importance de l’image dans notre culture et la méfiance qu’elle
suscite dans la civilisation arabo-musulmane. D’ailleurs, Idriss trouvera son
identité dans le retour à la tradition
islamique du signe. C’est intéressant, mais je suis un peu déçue, car le récit
de Tournier reste poussif. Il effleure le problème et moi, j’aime qu’on aille
au fond des choses - BF
J’ai franchi tant de montagnes, par Yangzom Brauen
Ed. Presses de la Cité –
2011
Lorsqu’elle perd sa mère
en 1926, Kunsang est à six ans l’une des plus jeunes nonnes du Tibet. Quelques
années plus tard, elle épouse un moine et met au monde deux filles. Sa vie, qui
suit le rythme des prières et des cycles de la nature, est alors simple et
paisible. Mais en 1959, neuf ans après l’invasion du Tibet par les Chinois, les
armées de Mao entreprennent la destruction systèmatique des temples et
monastères du pays. Commence alors pour Kunsang et sa famille un long et
tragique exil au cours duquel son mari et sa fille cadette périront. Elevée en
Suisse, entre deux cultures, Yangzom est la petite-fille de Kunsang. Elle
raconte ici l’histoire de sa famille. Le destin de ces trois générations de
femmes, qui s’étend sur un siècle, est celui de tout un peuple.
Difficile de trouver choc culturel plus
important que celui de la prospérité suisse et de la frugalité tibétaine… Mais
les trois mentalités de la grand-mère, de la mère et de la petite-fille sont
très bien décrites. Tout cela se lit comme un roman. Et pourtant, elles en ont
bel et bien vécu la réalité - MCH
*Americanah, de
Chimamanda Ngozi Adichie
Ed. Gallimard – 2015
Ifemelu quitte le Nigéria pour aller étudier à Philadelphie en laissant
derrière elle son grand amour Obinze. Mais
comment rester soi lorsqu’on change de continent, lorsque la couleur de votre
peau prend un sens et une importance que vous ne lui aviez jamais donnés? Pendant quinze ans, elle tentera de trouver
sa place aux États-Unis, pays marqué par le racisme et la discrimination. De
défaites en réussites, elle trace son chemin et finir par revenir au Nigéria. «En
descendant de l’avion à Lagos, j’ai eu l’impression d’avoir cessé d’être noire»,
écrit-elle alors. Drôle, grave et volontiers irrévérencieux, Americanah est une magnifique histoire d’amour,
de soi d’abord mais aussi des autres, ou d’un autre, qui fracasse allègrement
le «politiquement correct».
J’aime l’exubérance très africaine de ce livre,
qui tient souvent du puzzle. Cela dit, 528 pages, ce n’est pas rien. Si «Nous serons tous des héros» a la légèreté d’un soufflé, on a ici affaire
à un cassoulet des familles ! Voilà un roman à lire un jour de pluie, au coin
du feu, avec une bonne provision de thé. Ou de rhum, selon les goûts…- MM
Merci à Claudette, qui
malgré son absence nous a transmis ses réflexions sur les deux livres
suivants :
*La petite fille de Monsieur Linh, de Philippe Claudel
Ed. Stock - 2005
Monsieur Linh a quitté son pays avec sa petite fille
(bébé), pour fuir une guerre où sont morts son fils, sa belle-fille et la
plupart de ses compatriotes. Seul et perdu, il arrive à bon port avec pour tout
bagage sa mémoire, sa souffrance et ses morts... Tout cela est raconté avec une
grande pudeur. La narration est presque onirique, métaphorique. Linh et Bark (son
seul interlocuteur) sont deux versions différentes de la solitude, occidentale
et asiatique. Mais un rêve et un peu d'amitié les unissent. Le sujet même de ce
roman est le besoin que l'Homme a de se tenir à des repères. Le besoin d'amour
aussi, car c'est en quelque sorte l'amour de Monsieur Linh pour Bark qui le
sauve et lui permet de revivre. Voilà un livre qui fait réfléchir quant
à l'accueil des immigrés : que leur offrons-nous ? Qu'est-il vital de
leur offrir ?
Ce
livre, que j’ai lu il y a longtemps m’avait fait très forte impression. Il
offre un effet saisissant, avec une fin inattendue qui donne envie de le
relire. Je recommande de ne pas la dévoiler
à ceux qui ne connaissent pas le roman, et
de leur déconseiller de consulter Internet avant sa lecture - CP
*Un aller simple,
de Didier Van Cauwelaert
Ed. Albin Michel – 1994 (Prix Goncourt 1994)
Aziz Kemal, marseillais de
naissance, est né de parents décédés dans un accident de la route. Tiré de la
voiture, une Citroën ami 6 (d'où son prénom), par un Tsigane,
il a grandi avec un faux passeport marocain. En vertu de nouvelles mesures pour
les clandestins prises avec l'Office des migrations internationales (OMI), il sera
envoyé au Maroc avec l’«attaché humanitaire» Jean-Pierre Schneider, chargé de
le reconduire sur son «lieu d'origine», de l'aider à «renouer avec ses racines»
et de l'épauler dans la recherche d'emploi. Tous deux vont se lier d’amitié. Pour
consoler Jean-Pierre d’un grand chagrin d’amour, Aziz invente son «pays natal»,
tiré d’un conte. Le pays d’où il est censé venir est un «rêve», tout comme
l’idée que se font les migrants des pays où ils veulent s’installer.
L’absurdité
des situations souligne celle de lois censées réglementer des problèmes
humains. Quel sens a le renvoi d’un étranger dans son pays d’origine, dont il ne connaît ni la langue, ni les coutumes ? Avec un humour n’occultant jamais la
souffrance des personnages, ce livre pose des questions sur la nationalité,
l’identité, la culture. Et malgré une histoire et un style très différents, il
présente bien des points communs avec «la petite fille de Monsieur Linh» - CP
*Les titres précédés d’un astérisque sont disponibles à la bibliothèque.
Le prochain Cercle de Lecture se réunira le vendredi 11 mars à 20h00
avec pour thème : "la BD"