Les chansons
d’Allain Leprest (1954-2011) n’engendraient pas la gaieté, et « D’Osaka à
Tokyio » CLIQUEZ ICI ne fait pas exception à la règle. Le texte en est la traduction quasi-intégrale
d’une lettre retrouvée dans les débris d’un avion qui aurait dû relier ces deux
villes, mais n’est jamais arrivé à bon port. Difficile de faire plus
dramatique. Mais difficile aussi de trouver une chanson mieux adaptée à notre
thème de ce mois. SW
La chambre rouge,
d’Edogawa Rampo, Ed. Picquier poche – 1998
Le nom de l’auteur est en fait la transposition phonétique en japonais de
celui d’Edgar Allan Poe, auteur qu’il admirait énormément. Né au Japon en 1894
et mort à l’âge de 70 ans, Edogawa Rampo est le maître fondateur de la
littérature japonaise.
On retrouve dans ces cinq récits, écrits en 1925, la même atmosphère et le
même goût pour les mises en scènes fantastiques et obsessionnelles : une
logique implacable qui fait du crime une voie esthétique, où s’entremêlent
perversions sexuelles, cruauté raffinée, manies et délires mentaux qui ont fait
le renom de la littérature japonaise.
Je ne classe pas
ce roman dans le genre policier. J’aime beaucoup le style de l’auteur et son
imagination débordante qui fait « froid dans le dos ». C’est un petit
chef-d’œuvre de la littérature japonaise à découvrir absolument.DM
Au coeur du Yamato d'Aki Shimazaki, Ed. Léméac Actes Sud - 2006 à 2013
Née au Japon en 1954, Aki Shimazaki a émigré
au Canada en 1981 et vit à Montréal depuis 1991. Bien que sa langue maternelle soit le japonais, elle écrit
tous ses livres directement en français. Son
œuvre dans notre langue se compose de trois pentalogies (dont celle-ci). A
chaque fois, la même tragédie est racontée dans chacun des cinq tomes sous un
angle différent, puisque le narrateur change
d'un roman à l'autre.
Mitsuba : Quand la société d’import-export Goshima
propose à Takashi Aoki une mission dans sa succursale parisienne, il se trouve
au tournant de sa vie, car il vient de rencontrer Yuko Tanase, la femme avec laquelle il souhaite fonder une
famille. Qu’adviendra-t-il de la promesse des amoureux, faite au café
Mitsuba ? Le devoir social aura-t-il raison des sentiments ?
Zakuro : Banzo Toda est porté disparu en Sibérie depuis
la fin de la guerre. Sa femme, sombrant dans la maladie d’Alzheimer, s’accroche
néanmoins à l’espoir de le revoir un jour. Quand Tsuyoshi Toda découvre que son
père vit depuis 25 ans dans une ville proche de la leur, il veut comprendre les
raisons de son silence. Dans une longue lettre, le père expliquera au fils les
événements qui ont brisé le cours de sa vie à partir du drame survenu à bord du
bateau qui devait le ramener près des siens.
Tombo : Contraint de quitter la grande compagnie
Goshima, Nobu a fondé un établissement d’enseignement privé réputé. Il reçoit un jour la visite inattendue d’un ancien
élève de son père, lequel s’est suicidé quinze ans plus tôt dans la tourmente
suivant la mort d’un lycéen rebelle. Cette rencontre ljettera un nouvel
éclairage sur un sombre épisode de sa jeunesse.
Tsukushi : Bien qu’elle ait dû renoncer à celui qu’elle
aimait, Yuko ne regrette pas d’avoir accepté d’épouser, alors qu’elle n’était que
réceptionniste, l’héritier de la prestigieuse famille Sumida. Car son mari est
un homme bon, qui a endossé avec noblesse la paternité de la petite Mitsuba.
Pourtant cet homme attentif, honnête et aimable, n’est pas celui qu’elle croit.
La découverte d’une simple boîte d’allumettes ornée d’une image sensuelle
entraînera son lot de questions et de révélations.
Yamabuki : Cela fait maintenant 56 ans qu’Aïko Toda a eu
le coup de foudre pour celui qu’elle a accepté d’épouser dès leur premier
rendez-vous. Au côté de cet homme, cadre de l’importante société Goshima, elle
a été aux premières lignes de la reconstruction du Japon d’après-guerre.
Toujours aussi amoureux, tous deux profitent aujourd’hui de leur retraite. Aïko
songe à ce demi-siècle passé auprès de Tsuyoshi dans un bonheur dont elle prend
la mesure alors que remontent aussi à sa mémoire les années qui ont précédé
leur rencontre, celles d’un premier mariage raté.
Les expressions
et noms japonais peuvent rendre ces livres déroutants au premier abord. De
plus, la culture et la retenue japonaise font que les événements sont beaucoup
plus suggérés que décrits.
Mais cette
exploration d’une même situation par différents protagonistes montre bien que
les événements de la vie ne sont pas toujours aussi simples qu’il y paraît au
premier abord. La sobriété de l’écriture d’Aki Shimazaki nous transforme ces
cinq histoires d’hommes et femmes en autant de petits moments fins et délicats
à déguster individuellement ou en série. MM
Le Bateau-usine, de Takiji
Kobayashi, Ed. Allia – 2015.
Publié en 1929, ce roman est considéré comme le
chef-d'œuvre de la littérature contestataire nippone. Longtemps censuré dans
l’archipel, il y a connu un regain d'intérêt à l'occasion de la crise
financière de 2008 et de la vague de licenciements qu’elle a provoquée.
Membre du Parti communiste japonais, l’auteur est mort en 1933, très
vraisemblablement à la suite de tortures infligées par la police.
Au
cours des années 1920, le navire-usine Hakkô-Maru
pratique la pêche au crabe en mer d'Okhotsk, au nord du Japon, Cette
activité constitue un tel enjeu, dans un contexte de fortes tensions avec
l’Union soviétique, qu'elle fait l'objet d'une stratégie d'industrialisation à
outrance. Mais l'équipage ignore qu'il fait route vers l'enfer. Battue
par les vents sibériens, avec une mer souvent démontée, la zone s'avère
périlleuse pour un rafiot pourri. On pêche et on travaille dans
les pires conditions, parfois dans les eaux territoriales soviétiques, au
risque d'être abordé ou coulé. Pourtant, ce n'est rien en comparaison de
la vie à bord. Marins et ouvriers de ce navire-usine travaillent dans des
conditions inhumaines, jusqu’à épuisement, sous la poigne de fer de leur
intendant, le tout-puissant Asakawa. Sourde et puissante comme une lame de fond,
la colère ne cesse d'enfler.
Quand les Russes les sauvent d'un
naufrage, les ouvriers se rendent compte que ces rivaux en pêche sont aussi des
êtres humains. Petit à petit, une idée germe dans les cerveaux: la grève, la rébellion ouverte.
Ce livre terriblement dur réunit en une seule aventure plusieurs
faits avérés de monstruosité dans le monde méconnu de la pêche industrielle de
l'époque. L’auteur y dévoile une autre face du Japon, alors militariste et
réactionnaire (particulièrement révélatrice est la scène où les marins comprennent
que la troupe appelée par l'intendant ne vient pas pour les défendre, mais pour
les remettre de force au travail). Cette littérature aurait peut-être pu faire
des émules, y compris politiquement, mais le pouvoir en place décida, très vite
et sans doute pour éviter une contagion par la révolution bolchévique, d’y
mettre rapidement fin. Ce beau texte au style très actuel frappe par la crudité
des mots et la brutalité des situations. Il a le mérite de nous faire découvrir
un fragment de l’histoire japonaise, tout en dévoilant quelques traits de la
mentalité nippone. MM
Le
bureau des jardins et des étangs, de Didier
Decoin, Ed. Stock – 2016
Au XIIe siècle, être le meilleur pêcheur
de carpes et le fournisseur des étangs sacrés de la cité impériale n'empêche
pas Katsuro de se noyer. Sa jeune veuve, Miyuki, va le remplacer pour porter
jusqu'à la capitale les carpes arrachées à la rivière. Chaussée de sandales de
paille, courbée sous le poids de ses viviers à poissons et riche d’à peine quelques
poignées de riz, elle entreprend un périple de plusieurs centaines de
kilomètres à travers forêts et montagnes, en passant de temple en maison de
rendez-vous et en affrontant les orages et les séismes, les attaques de
brigands et les trahisons de ses compagnons de route. Mais la mémoire des
heures éblouissantes vécues avec l'homme qu'elle a tant aimé, et dont elle est certaine
qu'il chemine à ses côtés, donnera à Miyuki le pouvoir de surmonter les
tribulations les plus insolites, et de rendre tout son prestige au vieux maître
du Bureau des Jardins et des Étangs.
Tout en étant très dure, cette description du Japon médiéval
fait alterner violence et poésie, sous la forme d’un conte où le fantastique
n’est jamais bien loin. Voyage dans le temps et dans l’espace, l’odyssée de
Miyuki –qui affronte les pressions sociales avec force et ténacité– est racontée avec beaucoup de sensualité par
Didier Decoin. Il connaît manifestement le Japon comme sa poche. Mais une
question se pose : un Japonais aurait-il raconté cette histoire de la même
façon ? Impossible d’en connaître la réponse.
A-M L
Underground, par Haruki
Murakami, Ed. Belfond – 2013
Le 20 mars 1995 se produisait l'attentat
le plus meurtrier jamais perpétré au Japon : en pleine heure de pointe, des
adeptes de la secte Aum répandent du gaz sarin dans le métro de Tokyo, tuant
douze personnes et en blessant plus de cinq mille.Très choqué, mais aussi
révolté par le traitement médiatique par trop manichéen de la tragédie,
Murakami va partir à la rencontre des victimes et de leurs bourreaux : rescapés
du drame et adeptes de la secte. Au fil des entretiens apparaissent tous les
grands thèmes qui lui sont chers : l'étrangeté au monde, l'impossible quête
d'absolu, le mal venu des profondeurs, ces “little people” présents en chacun
de nous, incarnations des forces destructrices qui nous font basculer parfois
vers l'irréparable ...
Par son compte-rendu très minutieux des événements, Murakami cherche avant
tout à comprendre l’enchaînement qui a conduit à un attentat aussi monstrueux,
évidemment sans jamais l’excuser. Les témoignages des victimes, parfois
lourdement handicapées, sont toujours très émouvants, et on peut s’étonner que
malgré l’épreuve, beaucoup aient tenu ce jour-là à se rendre au travail comme
si de rien n’était. Mais les propos des membres de la secte (qui ne l’ont pas
toujours quittée) donnent aussi à réfléchir sur le phénomène sectaire et, le
mal de vivre qui l’explique en grande partie. FB
Le poids des secrets, d’Aki Shimazaki, Ed. Actes Sud – 2001
Tout comme Au coeur du Yamato, cette autre pentalogie raconte une seule et
même histoire en cinq tomes (Tsubaki - camelia, Hamaguri- coquillage,
Tsubame-hirondelle, Wasurenagusa-myosotis et Hotaru-luciole) : une saga
familiale sur quatre ou cinq générations, empreinte du poids de l’histoire et
de la culpabilité que peuvent éprouver beaucoup de Japonais. Le premier volume,
Tsubaki, en dresse le cadre : à sa mort, Yukiko laisse à sa fille et à son
petit-fils une lettre racontant son enfance, puis son adolescence, à Tokyo et à
Nagasaki. Sa vie quotidienne, le travail à l'usine, les amitiés, les émotions
naissantes et les premiers émois amoureux avec le fils des voisins. Mais les
confidences laissent aussi entrevoir une sombre histoire familiale, un
père menteur, une vie double et un drame survenu le jour même où la bombe atomique
est tombée sur Nagasaki, car la grande Histoire est étroitement mêlée à la
petite.
Le Japon que nous découvrons ici est d’autant plus
violent (par exemple dans la relation du massacre des Coréens) que sa
description fait alterner brutalité des faits et poésie de la nature. La narratrice ne nous laisse pas de repères,
si bien que le passage d’un livre à l’autre n’est pas toujours des plus
faciles. Cela oblige le lecteur à se laisser aller, à se laisser guider par la
force d’une écriture qui m’a envoûtée dès la première phrase (“Il pleut depuis
la mort de ma mère”). J’ai beaucoup
aimé. CP
Une odeur de gingembre,
d’Oswald Wynd, Ed. Gallimard-2006
En 1903, Mary Mackenzie
embarque pour la Chine où elle doit épouser Richard Collingsworth, l'attaché
militaire britannique auquel elle a été promise. Fascinée par la vie de Pékin
au lendemain de la Révolte des Boxers, Mary affiche une curiosité d'esprit rapidement
désapprouvée par la communauté des expatriés européens. Une liaison avec un
officier japonais dont elle attend un enfant la mettra définitivement au ban de
la société. Rejetée par son mari, Mary fuira au Japon dans des conditions
dramatiques. À travers son journal intime, entrecoupé des lettres qu'elle
adresse à sa mère restée au pays ou à sa meilleure amie, on découvre le
passionnant récit de sa survie dans une culture totalement étrangère, à
laquelle elle réussira certes à s'intégrer grâce à son courage et à son
intelligence, mais où elle restera toujours une intruse.
Seule la moitié de ce roman se déroule au Japon, pays
qu’Oswald Wynd (1913-1998) connaissait bien et dont il maîtrisait parfaitement
la langue : né à Tokyo, cet auteur écossais de romans policiers avait la double
nationalité britannique et japonaise. Bien qu’il soit écrit par un homme, le
journal intime de l’héroïne est très réussi, et il fallait beaucoup de
subtilité pour en faire évoluer l’écriture avec le temps. Au passage, on
discerne beaucoup d’éléments propres à la culture japonaise de l’époque, par
exemple la fréquence des doubles vies et les traditions d’adoption. CP
La
légende des Akakuchiba, de Kazuki Sakuraba, Ed. Piranha –
2017
Lorsqu’une fillette est retrouvée abandonnée
dans la petite ville japonaise de Benimidori, au cours de l’été 1943, les
villageois sont loin d’imaginer qu’elle intégrera un jour l’illustre clan
Akakuchiba et règnera en matriarche sur cette dynastie d’industriels de
l’acier. C’est sa petite-fille, Toko, qui entreprend bien plus tard de nous
raconter le destin hors du commun de sa famille. L’histoire de sa grand-mère,
femme dotée d’étonnants dons de voyance, et celle de sa mère, chef d’un gang de
motardes devenue une célèbre mangaka, dont le succès permettra de sauver la
famille du déclin dans un Japon frappé de plein fouet par la crise de
l’industrie sidérurgique.
Cette
saga familiale est un surprenant mélange de réalisme et de magie : elle associe
l’histoire d’un village dominé par l’industrie de l’acier au surnaturel dans
lequel évolue la famille Akakuchiba (surtout Man’yo, la grand-mère, par ses
visions du futur). Malgré quelques longueurs, je recommande ce livre comme un
exemple du roman japonais moderne, qu’on peut parfois imaginer en manga, genre
dans lequel excelle aussi Kazuki Sakuraba.
SV
La voix des vagues, de Jackie Copleton, Ed. Les Escales – 2016
Lorsqu'un
homme horriblement défiguré frappe à la porte d'Amaterasu Takahashi, celle-ci
est à la fois bouleversée et incrédule : le nouveau-venu prétend être son
petit-fils. Elle aimerait tellement le croire, mais comment savoir s'il dit la
vérité ? Elle a toujours été convaincue que sa fille et son petit-fils avaient
été tués le 9 août 1945 par l’explosion de la bombe atomique larguée sur
Nagasaki. A l’époque, elle-même a fouillé pendant des semaines les ruines de la
ville à la recherche des siens. L’arrivée de cet inconnu contraint Amaterasu à
se replonger dans un passé douloureux dominé par le chagrin, la perte et le
remords. Elle qui a tiré un trait sur le passé en émigrant aux États-Unis
se remémore ce qu'elle a voulu oublier : son pays, sa jeunesse et sa relation
compliquée avec sa fille. L'apparition de l'étranger la sort de sa mélancolie
et ouvre une boîte de Pandore d'où s'échappent les souvenirs qu'elle a laissés
derrière elle.
Inspiré à Jackie Copleton par les trois
années (1993-1996) qu’elle a passées à enseigner à Nagasaki, ce premier roman
est un coup de maître. La cassure historique représentée par la bombe est un
arrière-plan indispensable à la compréhension de l’aventure familiale vécue par
Amaterasu, passée brutalement d’un Japon traditionnel, machiste et
quasi-archaïque à la modernité frénétique de l’après-guerre. L’homme est-il ou
non son petit-fils ? En fait, peu importe, cette interrogation étant surtout
l’occasion d’une profonde réflexion sur le sens de la famille et le poids des
traditions. Voilà de la grande littérature.
SW
Le dévouement du suspect X, de Keigo Higashino, Ed. Actes Sud – 2011
Ishigami, un
professeur de mathématiques, est amoureux de sa voisine, Yasuko Hanaoka, une
divorcée qui élève seule sa fille. Mais l’ex-mari de celle-ci a retrouvé sa
trace et la harcèle. Elle le tue en cherchant à protéger sa fille, qu'il a
attaquée. Ishigami, qui a tout entendu, y voit l'occasion de se rapprocher
d'elle et lui propose son aide. Il entreprend alors de maquiller le crime en le
considérant comme un problème de mathématiques à résoudre. Et lorsqu’un corps
nu, la tête éclatée et le bout des doigts brûlés, est retrouvé au bord du
fleuve, l’inspecteur Kusanagi est chargé de l’enquête. Il la mènera avec le
concours de son ami Yukawa, brillant physicien et ancien condisciple d’Ishigami
à l’université.
Dans ce roman noir “made in Japan”, l’intérêt n’est pas de connaître les
coupables, identifiés dès le premier chapitre, mais de démonter l’enchaînement
de leurs actes et leur psychologie par une sucession de déductions froidements
logiques, à partir d’indices apparemment infimes (ah, l’importance d’une simple
bicyclette…). Ici, pas d’interrogatoires musclés ni de violence gratuite : la
police reste d’une courtoisie parfaite et les auteurs du crime ne perdent
jamais leur sang-froid. C’est extrêmement original, mais peut-être aussi un peu
trop rigide pour nos mentalités occidentales. SW
Nagasaki, d’Eric Faye, Ed. Stock – 2010
Quinquagénaire
célibataire à la vie réglée comme du papier à musique, sans aspérités ni
éclats, Shimara-san constate de minuscules changements dans son petit pavillon
de Nagasaki : des aliments disparaissent de son réfrigérateur, des objets sont
très légèrement déplacés en son absence - à peine de quoi attirer son
attention, mais suffisamment pour qu'un doute le pousse
à installer une webcam afin de surveiller sa cuisine à partir de
son bureau, à la station météo locale. Il découvre alors qu'en son absence, une
femme habite, littéralement, l'un de ses placards. Sans domicile fixe, sans
plus de famille ni d'attache, elle partage depuis des mois l'espace très
privé de sa maison. La police interviendra, bien sûr, puis il y aura
inévitablement un procès. Mais quelque chose restera brisé à jamais en
Shimara : jamais plus il ne pourra se sentir chez lui de
la même façon.
Le plus extraordinaire, dans cet étrange
petit roman, est qu’il a été inspiré par un fait divers survenu en 2008 au
Japon. Encore une histoire ayant pour cadre Nagasaki ? Certes, mais ne
pourrait-elle pas se dérouler dans n’importe laquelle de nos grandes métropoles
dénuées d’âme, où règne le chacun pour soi ? Particulièrement émouvant est
l’ultime chapitre, qui nous fait découvrir le point de vue de l’”intruse”. Ce
court récit a obtenu en 2010 le Grand prix du roman de l’Académie française. La
récompense était amplement méritée. SW
Romanée-Conti 1935, de Kaikô Takeshi, Ed. Picquier Poche – 1993
Dans une tour de Tokyo, un dimanche
après-midi, deux hommes absorbés dans la dégustation d’une bouteille de
Romanée-Conti 1935, usant de gorgées comme autant de ponctuations, poursuivent
jusqu’à la lie le texte désordonné de leurs souvenirs. Telle la madeleine de
Proust, ce (très) grand vin évoque pour l’un d’eux la saveur d’un amour endormi
et d’une femme aux contours effacées jadis connue à Paris.
Comment rester insensible à un titre évoquant un vin aussi mythique que la
Romanée-Conti ? Cette petite nouvelle ne peut qu’amuser le lecteur français. On
peut toutefois se demander si l’auteur avait vraiment conscience du coût
extravagant d’un tel nectar, dont le prix d’une seule bouteille peut atteindre
plusieurs dizaines de milliers d’euros.
Si la lecture de Kaikô Takeshi laisse un goût de trop peu, on peut
avantageusement la compléter par l’écoute de La Romanée-Conti, malicieuse chanson
d’Anne Sylvestre CLIQUEZ ICI . SW
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LE SAMEDI 14 AVRIL 2018
THEME : L'ENFANCE