L’utopie,
tout le monde connaît, ou à peu près. Avec la dystopie, ça se complique. Disons
qu’elle est à l’utopie ce que le cauchemar est au rêve. Quant à l’uchronie, illustrons-la
par cet exemple en chanson emprunté à Robert Charlebois. Vous y
êtes ? Alors, passons aux choses sérieuses.
*Cent ans après ou l’an 2000, d’Edward Bellamy
Ed. Eternel – 2015
Ce roman est paru
pour la première fois aux Etats-Unis en 1888 !
Julian West, jeune homme du Boston de la fin du XIXe
siècle, se retrouve mis en léthargie par un procédé magnétique. Par un
incroyable concours de circonstances, il survit à un long sommeil et se
réveille en l’an 2000. Il découvre alors une société idéale gouvernée par les
principes d’harmonie, de solidarité, de mérite. Le jeune homme, ex-nanti et
fils de bourgeois, subitement devenu « préhistorique » au regard de
cette nouvelle société, va assaillir son hôte le bon docteur Leete de questions
sur le fonctionnement de celle-ci. Mais rien n’est laissé au hasard dans cette
utopie sociale où la retraite est à quarante-cinq ans et le temps de travail
d’une vingtaine d’heures par semaine, où les salaires sont égaux et les revenus
distribués par l’Etat à tous sans exception. Face à cette nouvelle réalité,
Julian West va établir un diagnostic et une critique tranchante de la société
de son époque : l’ère industrielle et le capitalisme triomphant. Pour
pimenter le roman, il va se rapprocher de la fille de son hôte, et une intrigue
amoureuse va se nouer.
Ce livre a connu un succès international
dès sa parution et inspiré plusieurs mouvements politiques révolutionnaires,
dont le mouvement
technocratique nord-américain dans
les années 1930, et le parti politique Nederlandse
Bellamy Partij aux Pays-Bas, en 1945.
Ce regard visionnaire fait sourire le lecteur d’aujourd’hui, mais il
étonne plus d’une fois par sa pertinence. Le livre retrace la montée en
puissance de la classe ouvrière, l’avènement du capitalisme au XIXe siècle et
l’évolution de la société censée en découler. Le côté fiction romanesque est
sans grand intérêt, mais la fiction permet d’échafauder la théorie. L’écriture
a vieilli...GA
*Le quatrième mur, de Sorj Chalandon
Ed. Grasset – 2013
En 1974, à Paris, Georges, un étudiant en histoire militant
pro-palestinien, casseur de fachos et féru de théâtre, fait la connaissance
d’un Grec juif, Sam. Ils se lient d’amitié malgré leurs différences. Sam a un
rêve : monter la pièce «Antigone» d’Anouilh sur la ligne verte qui divise
Beyrouth, avec des acteurs de toutes les nationalités et religions
du conflit israélo-palestinien. Malade, il demande à Georges de le faire.
La troupe se compose d’une Palestinienne sunnite, un Druze, un maronite,
un chiite, une catholique. Le jeune homme arrive avec sa belle idée de paix,
face à des hommes et des femmes qui se haïssent mais acceptent, sans
cesser de l’interroger sur ses motivations et sa connaissance de la
guerre. Il va devoir composer avec ses engagements, côtoyer des snipers. Mais
avant la représentation, la ville est bombardée et Chatila massacrée…
C’est ce roman
qui m’est venu à l’esprit pour évoquer l’utopie - un rêve de fraternité,
l’espoir fou d’une parenthèse de paix au milieu de la guerre, le rêve qui vire
au cauchemar. Les idéaux des années 1970 ont une résonance certaine chez moi.
Le massacre de Chatila sous la plume de Chalandon se charge de qualifier ces
idéaux, en nous ramenant à la réalité. A la clé un malaise et bien des
questions… J’ai beaucoup aimé ce livre. – GA
(d’après le film de Cyril Dion et Mélanie Laurent)
Ed. Actes Sud, 2015
En 2012, Cyril Dion, qui dirige alors
l’ONG Colibris, prend connaissance d’une étude annonçant la disparition
possible d’une partie de l’humanité d’ici à 2100. Menée par un groupe
international de vingt-deux scientifiques, elle synthétise des dizaines
d’autres travaux sur l’augmentation de la population, la disparition massive
des espèces, le changement du climat, la pollution, la déforestation, etc. Mais
alors qu’elle devrait faire l’effet d’une bombe, elle est à peine évoquée par
les médias. Cyril Dion change alors de stratégie : au lieu d’amplifier le
discours catastrophiste, il choisit une vision désirable de ce que pourrait
être l’avenir. Avec l’actrice et réalisatrice Mélanie Laurent, il voyage dans
dix pays pour découvrir à quoi notre monde pourrait ressembler grâce à certaines
des meilleures solutions déjà en œuvre dans l’agriculture, l’énergie,
l’économie, l’éducation et la démocratie. De ce voyage sont nés cet ouvrage et
le film Demain.
Cyril Dion raconte ici ses rencontres hors du
commun avec des femmes et des hommes qui changent le monde. Tantôt sur le mode
du récit, tantôt sur celui du dialogue, en texte et en image, son livre nous
entraîne sur la voie du changement et de la transition, de l’espoir et de l’initiative,
c’est-à-dire sur celle d’«un nouveau monde en marche».
Le
film Demain a rencontré un succès aussi énorme qu’inattendu, et ce livre en est le
fidèle reflet. C’est une revigorante «utopie en marche» qui nous donne une belle
leçon d’optimisme en développant des exemples bien moins limités qu’on pourrait
le croire. Sur le même thème, je recommande vivement le film En quête de
sens, de Nathanaël Coste et Marc de La
Ménardière, dont la démarche est plus spirituelle. – PM
*Ourania, de Jean-Marie Gustave Le Clézio
Ed. Gallimard, 2006
Ourania. Tel est le nom du pays imaginaire
où Daniel Sillitoe se réfugiait lorsque, pendant son enfance, sa mère lui lisait
un livre de mythologie grecque évoquant un monde tellement plus séduisant que
le monde réel. Les mots restent au centre de ses préoccupations lorsque,
devenu adulte, il se retrouve au Mexique pour y mener une étude associant des
observations géographiques dans la vallée du Tepalcatepec et des recherches à
la bibliothèque de l'Emporio, qui regroupe historiens, géographes, sociologues
et anthropologues. Pour ces derniers, la misère locale n’est qu’un objet d'études, alors que Daniel
s'efforce de reconnaître aux exploités un visage humain. Le Mexique est aussi le
lieu de sa rencontre avec Raphaël, un jeune garçon étrange qui lui fait
découvrir la communauté idéale de Campos, l'Utopie du Conseiller Anthony
Martin. Celle-ci devient le lieu d'une épreuve initiatique par laquelle le Réel
prend le pas sur le Rêve, et où l'autre prend le pas sur les représentations où
l'on veut l'enfermer, même si le Rêve reste précieusement conservé dans un
recoin de la mémoire.
Il y
a certainement beaucoup d’éléments autobiographiques dans ce beau roman de Le
Clézio, qui a passé une partie de son enfance seul avec sa mère et a ensuite
beaucoup voyagé dans le monde entier, notamment au Mexique. On voit ici
s’opposer deux utopies : celle du Campos, qui pousse la différence jusqu’à imaginer sa propre langue, et celle de l’Emporio, qui constitue une
université idéale. J’ai beaucoup aimé – SV
*La nuit des temps, de René Barjavel
Ed. Presses de la Cité, 1968
En plein
Antarctique, une mission scientifique française capte un mystérieux signal issu
des profondeurs glacées. Passionnés par cette énigme, les scientifiques du
monde entier mènent des fouilles aboutissant à la découverte d’une étrange
sphère d’or où un homme et une femme, tous deux nus et masqués, reposent en
hibernation depuis 900 000 ans. La femme, réanimée en premier, est d'une beauté
exceptionnelle. Une machine à traduire révolutionnaire permet d’établir qu’elle
se nomme Eléa et qu’une guerre totale a conduit Coban, un savant de son époque,
à l'enfermer avec lui dans cet abri pour préserver l’avenir de l’humanité. Mais
elle aurait préféré mourir près de Païkan, l’homme à qui elle vouait un amour infini.
Tout autant que l’or de la sphère, la réanimation de Coban, dont les
connaissances sont illimitées, excite la convoitise des grandes puissances.
Elle sera malaisée et donnera lieu à un dramatique rebondissement contre lequel
ne pourra rien le médecin français Simon, épris d’Eléa depuis sa découverte.
Ce roman est un classique de
la science-fiction, mais la civilisation lointaine dont est issue Eléa relève bien
de l’utopie. On y trouve des thèmes constants dans ce genre littéraire, et de
nombreux parallèles entre les civilisations disparues et le monde actuel.
Voir nombre de scientifiques
court-circuiter les décisions des grandes puissances est particulièrement
réjouissant. Tout cela est d’une lecture passionnante – M-CH
Ed. Folio
classique, 2012 (première parution en… 1516 !!!)
Publié à
l'aube de la Réforme, cet ouvrage de référence est emblématique de l’humanisme
de l’époque. Il commence par un réquisitoire contre les injustices et la
pauvreté de l’Angleterre d’Henri VIII, dont il identifie clairement la cause :
la propriété privée, car le pouvoir est monopolisé par ceux qui la détiennent en
opprimant les faibles. Pourtant, tout pourrait changer si la société atteignait
la perfection de l’île imaginaire d’Utopie, où les maîtres-mots sont liberté et
égalité. Il n’y existe ni vol, ni misère, ni impôt, ni monnaie, et chacun ne prend
au marché que ce dont il a besoin. On n’y trouve pas de femmes au foyer, de
mendiants, de valets, de prêtres ou de nobles. L’oisiveté est interdite, mais
la journée de travail est limitée à six heures, et le temps libre consacré aux
loisirs communs.
Grand ami d'Erasme, Thomas More reste
un modèle de tolérance. D’abord chancelier d’Henri VIII, il refusa d’en
cautionner l’autorité religieuse, ce qui lui valut d’être exécuté en 1535. Il
fut canonisé en 1935, mais au pied du Kremlin, son nom figura aussi jusqu’en
2013 sur un obélisque glorifiant les précurseurs du socialisme.
J’ai été enthousiasmée par la lecture de ce livre, qui
forgea le mot «utopie» à partir du grec ou topos («lieu qui
n’existe pas»). Il est d’une clarté et d’une modernité stupéfiantes, et
tellement en avance sur son temps qu’on en reste subjugué. A lire
absolument ! – HL
L’île
des gauchers, d’Alexandre Jardin
Ed. Gallimard, 1995
Dans un
archipel du Pacifique Sud ignoré des géographes, l'île des Gauchers abrite une
population où les droitiers ne sont que l'exception. Mais là n'est pas le plus
important. Cette micro-société, fondée par des utopistes français en 1885,
s'est donné pour but de répondre à une colossale question : comment fait-on
pour aimer ? Sur cette terre australe, le couple a cessé d'être un enfer. C'est
l'endroit du monde où l'on trouve, entre les hommes et les femmes, les rapports
les plus tendres. Voilà ce que vient y chercher Lord Jeremy Cigogne. À 38 ans, il
enrage de n'avoir jamais su convertir sa passion pour sa femme Emily en amour
véritable. À trop vouloir demeurer son amant, il n'a pas su devenir un époux. Dans cette
réalité à l'envers où tout est à l'endroit, Cigogne et Emily se délivrent non
sans mal de leurs habitudes et tentent l'aventure de se combler en suivant les
coutumes et les rites étonnants du petit peuple des Gauchers.
Sur cette terre qui présente bien des
ressemblances avec l’île d’Utopie imaginée par Thomas More, la seule obligation
est de ne pas en avoir, ce qui n’implique pas pour autant l’absence de rituels
et de codes. Tout cela est drôle, loufoque et très amusant, encore qu’un peu
long. Mais on ne boudera pas son plaisir. Même si on est droitier. – HL
*Les Cinq
cents millions de la Bégum, de Jules Verne
Ed. Le livre
de poche, 1986 (première parution : 1876)
Le Dr Sarrasin, paisible savant français, se trouve soudain
à la tête d'un fabuleux héritage : les cinq cents millions de la Bégum Gokool.
Mais le Pr Schultze revendique vigoureusement sa part. Les deux hommes
finissent par s'entendre et partagent ce pactole. Tandis que le Français
l’emploie à édifier sur la côte pacifique des Etats-Unis la cité modèle de
France-Ville, l'Allemand élève Stahlstadt, la Cité de l'Acier, qui est en fait
une gigantesque usine de canons. Herr Schultze a tenu des propos alarmants sur
France-Ville : «J'espère, a-t-il dit, que l'expérience que nous ferons sur elle
servira d'exemple au monde.» Un jeune ami alsacien du Dr Sarrasin décide alors d'espionner les oeuvres
de Schultze et, se faisant passer pour un citoyen suisse, pénètre à Stahlstadt,
forteresse jalousement gardée. Il y découvrira le diabolique projet de
Schultze : détruire France-Ville avec un énorme canon.
France-Ville,
cité idéale à l’hygiène parfaite (nous sommes à l’époque de Pasteur…), est aussi
différente que possible de la sinistre Stahlstadt. Ce roman très marqué par
l’esprit revanchard de l’après-guerre de 1870 n’est pas le plus connu de Jules
Verne, à ce jour l’auteur français le plus traduit au monde. Mais comme
toujours, il recèle d’étonnantes prémonitions, tant Schultze pourait être le
grand-père d’un certain Adolf Hitler. – MM
*Soumission, de Michel
Houellebecq
Ed. Flammarion, 2015
En 2022, la France est déchirée par les
affrontements entre jeunes identitaires et salafistes. François,
professeur de littérature à Paris, sent venir la fin de sa vie sexuelle et sentimentale,
avec pour seule perspective la vacuité et la solitude. Mais l’élection
présidentielle va tout changer. Mohammed Ben Abbes, dirigeant intelligent et
charismatique du nouveau parti «Fraternité musulmane», accède au second tour
face à Marine Le Pen. Il sera élu grâce au soutien des partis traditionnels
pour faire barrage au Front national. Ce séisme politique a d’incontestables
conséquences positives : grâce à l’élection, la France est pacifiée et le
chômage chute. Mais il a aussi ses revers : nombre d’universités - dont
la Sorbonne - sont privatisées et islamisées, les professeurs doivent être
musulmans pour enseigner, la polygamie est légalisée, les femmes n'ont
plus le droit de travailler et doivent s'habiller de manière «non-désirable».
François lui-même, d’abord réfractaire, finira par renoncer et retrouvera le
chemin des honneurs et un poste à l'université (et deux femmes !), au prix
d'une conversion à l’islam.
On se souvient de la polémique suscitée par
ce roman, paru juste avant les attentats contre Charlie-Hebdo. Bouleversé par ceux-ci et par les accusations
d’islamophobie formulées à son encontre, Houellebecq en avait aussitôt arrêté
la promotion.
J’ai
beaucoup aimé ce roman de Houellebecq, qui est vraiment un grand écrivain. Sur
un ton mi-sucré, mi-amer, il mène en douceur le lecteur vers son but, en
suivant un raisonnement qui n’est qu’apparemment simpliste, et en réalité
finement détaillé. La polémique due à la terrible coïncidence avec le drame de Charlie-Hebdo n’avait à mon avis pas lieu d’être. Je
conseille vivement. – MM
Utopie
ou dystopie ? Peut-être le terme de politique-fiction convient-il
mieux. Pour l'avoir vu à la télévision,
je n'ai pas beaucoup d'empathie pour l'auteur. J’admets cependant que son roman
est bien écrit, bien conduit, agréable à lire et divertissant (j'allais dire
sans plus ). Toutefois, je n'ai pas bien saisi l'intérêt des nombreuses
descriptions détaillées des pratiques et aventures sexuelles dont il semble
parsemer ses œuvres ( je n'en ai pas lu d'autres ). – FB
La victoire de la Grande Armée, de Valéry Giscard
d’Estaing
Ed. Plon, 2010
Le 14 septembre
1812, Napoléon fait son entrée dans Moscou, mais pressent qu'à rester trop
longtemps, il risque la catastrophe. Il donne alors un ordre stupéfiant :
évacuation de la ville et retour en France. Mais cette retraite apparente est
une manœuvre destinée à contraindre Koutouzov à l’offensive et à le vaincre
définitivement. Le général François Beille a pour périlleuse mission de
ralentir la retraite de sa division afin de tromper l’ennemi sur la véritable
position de la Grande Armée. Une fois la méprise dissipée, Koutouzov se précipitera
sur les traces de l'empereur pour l'empêcher de quitter le pays. Trop tard.
Napoléon a déjà choisi le lieu de la bataille près de Vilna (l’actuelle
Vilnius). Les Russes sont écrasés et s'ouvre alors une ère nouvelle : de retour
en France, Napoléon décide d'abdiquer et de se consacrer à la paix en Europe.
Il transmet le pouvoir à son fils adoptif Eugène de Beauharnais et, en 1815,
organise à Strasbourg une réunion internationale ressemblant furieusement à
celle de Vienne.
C’est évidemment le nom de l’auteur qui m’a attiré vers
ce curieux roman uchronique. Napoléon vainqueur en Russie ? Bon, pourquoi
pas… Le récit est certes bien écrit, bien documenté et d’une lecture agréable.
Mais il manque un rien de panache dans les charges de cavalerie du général
Beille et de sentiment dans ses affaires d’alcôve. Et surtout, on n’arrive pas
à croire que «l’ogre corse» ait pu muer en précurseur de l’Union européenne
(car VGE a bien sûr cette idée derrière la tête). Dommage. – SW
Fatherland, de Robert Harris
Ed. Julliard, 1992
Berlin, avril 1964. Xavier March, inspecteur à la
police criminelle allemande, doit enquêter sur une bien étrange noyade. Plus
étrange encore est l’époque. Car March est un SS et Hitler est toujours vivant.
Le Grand Reich domine l’Europe de l’Atlantique à l’Oural, et la paix dans le
monde est assurée par l’équilibre de la terreur nucléaire entre l’Allemagne et
les Etats-Unis. Mais la «Guerre froide» opposant Berlin et Washington est sur
le point de s’achever grâce à la visite imminente du président américain Joseph Kennedy. Quant à March, il
découvre les assassinats successifs de plusieurs membres importants du Parti
national-socialiste, et n’apprécie pas du tout qu’on lui retire l’enquête. Avec
le soutien de la journaliste américaine Charlie
Maguire, il découvre l'inimaginable : les dignitaires assassinés ont tous
participé en 1942 à la conférence secrète de Wannsee, qui a planifié la Solution finale et permis
d’exterminer jusqu’au dernier (dans le roman) les onze millions de juifs
d'Europe.
La victoire d’Hitler est ici très plausible grâce au
succès fictif de son offensive en Russie. Mais c’est la suite qui intéresse
l’auteur. A première vue, cette Allemagne de cauchemar s’est assagie dans la
prospérité de l’après-guerre. Pourtant, la barbarie des premiers âges est bel
et bien présente. Et surtout, nous découvrons dans ce récit formidablement
documenté combien l’Histoire est toujours écrite par les vainqueurs. Glaçant. –
SW
Un grand merci à Claudette et François qui, malgré leur
absence, nous ont fait parvenir les commentaires suivants :
Les
années d’utopie - 1968-1969, de Jean-Claude
Carrière
Ed. Plon, 2003
"Des
fleurs, des pavés et des tanks" pourrait être le sous-titre de ces deux
années bariolées, insolentes, lyriques et sexuellement désordonnées. Deux
années inoubliables qui ont fait bouger des sociétés assoupies et ont ouvert
des portes inconnues. Nul ne peut mieux en parler que Jean-Claude Carrière
lui-même :
« Par les hasards de mon activité de
scénariste j'ai connu de près, dans les années 1968-1969, trois villes chaudes:
New York, Paris, Prague - et de nouveau New York.
Des fleurs dans les cheveux, des pavés dans la nuit, des tanks pour écraser
l'espoir. Un vent d'utopie a vraiment soufflé sur ces années-là, que j'ai
passées aux côtés de Luis Buñuel, de Louis Malle et surtout de Milos Forman,
errant de pays en pays. Nous qui voulions écrire une petite histoire, nous
étions chassés par la grande. De ces deux années extraordinaires,
aujourd'hui détestées ou idolâtrées, j'ai tenté de tisser mes souvenirs. Je me
suis rappelé, à travers les pièges de la mémoire, les cris, les refus, les
fuites, les drogues, les rêves et le sexe qui se disait libre, et le monde
nouveau qui s'annonçait tout proche.J'ai même essayé de dire où tout cela nous
a menés, avec le sentiment, de plus en plus vif, que cette utopie a été la
dernière qui se soit levée en Occident. En connaîtrons-nous, quelque jour, une
autre? »
Plus de 30
ans après avoir vécu si intensément cette période, l’auteur est bien conscient
du risque d’interpréter la réalité. Il nous montre que si les utopies de chaque pays avaient
pour point commun la jeunesse, leur objectif était différent : le Flower Power
à New York (avec la non-violence, la drogue, l’absence de projet précis de
société), l’opposition à l’univers «bourgeois» et à la société de consommation à
Paris (mais aussi la divergence entre étudiants et ouvriers), et à Prague une
contestation du pouvoir autoritaire peut-être associée à des rêves de consommation.
Il traite aussi de l’historique des utopies et nous y fait réfléchir au vu de
ce qu’elles sont devenues.– CP
Utopie, quand
reviendras-tu ?, de Jean-Claude Carrière
Ed. de l’Aube, 2015
Quel parcours étonnant que celui d’un fils
de paysans consacré, à 83 ans, par un Oscar à Hollywood pour l’ensemble de
son œuvre ! Avec la légèreté et la fluidité qu’offre
le dialogue, Jean-Claude Carrière raconte son histoire de manière inédite.
Ancré dans ses Cévennes natales où il retourne vivre chaque été, cet homme
multiple – scénariste, écrivain, acteur – est depuis longtemps engagé pour
l’écologie. Mais il ne cache plus son découragement, se fait peu d’illusions
quant à notre volonté d’agir face aux défis majeurs de notre temps et met en
garde contre la folie qui rôde. Pour autant, il a la grâce de continuer à
s’émerveiller de ce qui lui arrive et du monde qui l’entoure. Et voudrait
croire en une folie salutaire. Viendra-t-elle de la génération de sa fille
aujourd’hui âgée de 12 ans ? De la jeunesse qu’il voit s’engager ? Une rencontre avec un « honnête homme »,
généreux, cultivé, à travers mille anecdotes qu’il aime partager.
Seule la dernière partie de ces entretiens avec Gilles Vanderpooten est
consacrée à l’utopie. Les utopies d’aujourd’hui sont exprimées par les
«indignés» et par ceux qui se préoccupent de l’avenir de la planète, de
l’environnement et des nouvelles pratiques sociales, ce qui nous renvoie à Demain cité plus haut. Mais que deviendront-elles ?
– CP
*Le complot contre l’Amérique, de Philip Roth
Ed. Gallimard, 2007
Le narrateur, issu
d'une famille juive du New Jersey, raconte
ses souvenirs d'enfance dans une Amérique bien différente de celle que
décrivent nos livres d’histoire. Car en 1941, Franklin Delano Roosevet n’a pas été réélu à
la Maison blanche. C’est l'aviateur Charles Lindbergh, sympathisant du régime nazi et membre du comité America First, qui est devenu
président des États-Unis au terme d'une campagne teintée d'antisémitisme et
dominée par le refus de voir l'Amérique prendre part au conflit ravageant
l'Europe. Une fois au pouvoir, il s'empresse de conclure avec Hitler un pacte de non-agression.
Ce roman mêle faits historiques
avérés et événements imaginaires : les discours violemment antisémites de
Lindbergh sont authentiques. Mais sa candidature à la présidence et leurs
conséquences sont de l'ordre de la fiction. Roth décrit une subtile montée de
l'antisémitisme dans la société américaine et l'inquiétude croissante au sein
de la communauté juive. Raconté du point de vue d'un enfant, à travers les
événements qui touchent sa famille et son voisinage, le récit met en scène les
diverses attitudes des personnages face à l’inquiétante émergence d'un fascisme américain.
J'ai choisi ce livre après avoir beaucoup aimé "La
tache", du même auteur. D’abord récit autobiographique, il glisse vers la
fiction avec subtilité et tant de crédibilité que j’ai failli vérifier que Lindbergh n'avait jamais été
président ! La communauté juive est parfaitement décrite, non seulement par un
enfant très perturbé par les événements, mais aussi d'un point de vue plus
adulte grâce au suivi de plusieurs familles dans leur vie quotidienne. On sent
bien l'influence de la religion et des caractères. Voilà un grand roman, comme
sait particulièrement en produire la
littérature américaine. – FB
*Les titres précédés
d’un astérisque sont disponibles à la bibliothèque.
Le prochain cercle
de lecture se réunira le vendredi 3 juin à 20h00
avec pour
thème : «l’Antiquité»